Depuis l'antiquité jusqu'aux XIVe et XVe
siècles, le port du voile s'est répandu à Alger au gré de la croissance et de
l'évolution sociale.
Quand Alger, au XVIe siècle, est devenue la
capitale du pays, on voit le voile faire partie du costume de toutes les
citadines. Pour continuer à signifier leur distinction, les dames les plus
fortunées avaient recours à deux ajouts successifs : la voilette qui couvre le
bas du visage et la coiffe haute qui modifie la forme du voile, différenciant
ainsi les silhouettes. Ces deux options s'étaient conjuguées dans les grandes
métropoles de la méditerranée orientale, comme Istanbul et l'Egypte où les
femmes possédaient, depuis l'époque mamelouk, une variété de voiles de tête. En
Espagne musulmane, les citadines les plus distinguées portaient parfois une
sorte de mouchoir de gaze attaché derrière la tête et voilant le bas du visage
au-dessous des yeux. Selon certains voyageurs qui étaient de passage à Alger
vers 1550, les algéroises ne portaient pas de voilette à cette époque-là. Lasse
de réajuster les pans de leur voile au niveau de leur visage, les algéroises
choisissent la voilette. Une solution qui leur évite de rester trop longtemps
le bras soulevé à une certaine hauteur. Lors des sorties, elles portent comme
les hommes un feredge dont les manches sont si longues qu'on ne voit que les
bouts des doigts. Si ce procédé est reposant pour le bras, il n'en demeure pas
moins qu'il n'offre ni l'aération, ni l'ampleur encore moins la légèreté du
voile drapé. Les femmes d'Alger conservent leur voile blanc muni de fibules
accompagné d'une voilette de soie de même couleur, appelé le plus communément
aâdjar.
A la fin du XVIe siècle, l'abbé Haëdo évoque
la voilette des algéroises en affirmant que « pour ne pas être vues hors de
chez elles, celles-ci se couvrent la figure d'un voile blanc fin qu'elles
attachent par un nœud derrière la nuque, au-dessous des yeux et du front qui
restent à découvert ». Les écrits de ce même auteur concernant les activités
quotidiennes des femmes d'Alger ne laissent pas penser que le port de ce tissu
sur le visage ait répondu à un changement du statut des Algéroises durant
l'époque ottomane, au contraire l'abbé a insisté sur leurs occupations autres
que domestiques avec un ton assez critique, en déclarant qu'elles consacrent
beaucoup de temps à aller chez leurs amis, et à se rendre visite. Il est à
noter que bien que le royaume étant sous la tutelle ottomane, le port de la
voilette n'était pas à l'époque pour les femmes d'Alger synonyme de perte de
liberté. Au début du XVIIIe siècle, Laugier de Tassy observe le costume de
sortie des Algéroises : « Lorsqu'elles sortent, elles se couvrent le visage
d'un mouchoir blanc, du menton jusqu'au-dessous des yeux, et s'enveloppent tout
le corps de la tête jusqu'aux pieds d'une pièce d'étamine blanche. » Ainsi, la
voilette du visage s'est inscrite dans un processus de distinction entre les
4/5 des Algéroises musulmanes, et le 1/5 des Algéroises qui sont de confession
juive. Une association de la serma du voile et de la voilette a atteint son
apogée au XVIIIe siècle, cependant la serma disparaît et le voile à fibules
rompt la longue stabilité qui a caractérisée son parcours depuis plus de 2000
ans. (Djazairess.com)
Sur les plans esthétique et technique il
existe à Alger de grandes variétés de broderie exécutée avec raffinement et ingéniosité.
Certaines voilettes (aâjar), à la fois délicates et somptueuses, peuvent être
perçues comme des œuvres d’art et classées parmi les plus remarquables travaux
d’aiguille.
La créativité et le génie de la femme Algéroise,
par cet art séculaire, a su d’une part traduire l’expression personnelle d’une
ville à multiples influences et, d’autre part, refléter un art de vivre
ancestral.
L’aâjar, c’est aussi un témoignage
sociologique des mutations qu’ont connues la société algérienne et tout particulièrement
la femme. Avec l’introduction de nouveaux modes vestimentaires (hidjab, djilbab,
etc.) n’ayant aucun rapport avec la tradition purement algérienne, le port du aâjar
est devenu rarissime.
Pour les générations qui l’avaient porté avec
sérénité, coquetterie et raffinement, c’est surtout l’évocation de moments
solennels, de sorties, de joie et de convivialité.
El Hayek et l’aâjar ont été l’affirmation
d’une identité et le symbole d’une résistance à l’occupation coloniale. En
effet, aux premiers jours de l’indépendance, en juillet 1962, les Algériennes
se sont impliquées dans la mission de l’édification d’une Algérie indépendante
et moderne. Et, à cette date, la majorité d’entre elles ont malheureusement quitté
"définitivement" le voile au profit d’habits (hidjab, djilbab, etc.) venus
pour essentiellement du moyen orient.
Voici quelques anciens modèles du aâjar
authentique :